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Chroniques
Rinaldo | Renaud
opéra de Georg Friedrich Händel
Outre d’un metteur en scène qui se saisit adroitement des éléments dont Händel lui-même s’était emparés à travers le livret de Hill et Rossi, éléments indispensables à la recette lyrique dont seul il eut le secret, cette production de Rinaldo peut s’enorgueillir de la direction musicale élégante et souple d’un händélien de longue date, d’Alessandro De Marchi [lire notre chronique de Deidamia, le 11 juin 2003], jamais heurtée et cependant idéalement au service de la dramaturgie, soulignant judicieusement les influences italiennes et françaises de la partition, mais encore d’un plateau vocal globalement satisfaisant, quoiqu’inégal, dominé par d’exceptionnels Goffredo et Armida.
La cuisine du Grand Saxon a besoin de beaucoup de politique, d’amours complexes, d’une mythologie invitant le fantastique et d’une pincée d’exotisme. Cette histoire du siège de Jérusalem par des croisés qu’on nous montre tout dévoués à leur mercenaire cause, conquête bientôt contrariée par un jeu de passion quasi racinien – Argante aime la magicienne Armida qui aime Rinaldo qui aime Almirena (fille d’un général qui n’aime que le pouvoir et pourrait bien l’y sacrifier, selon l’issue de l’intrigue) charnellement désirée par Argante – avait tout pour plaire au compositeur qui sut y trouver grand ressort dramatique et matière à des arie de toute splendeur.
À parler voix, celles de ce soir ne sont pas en reste, loin s’en faut. Yong Doo Park (basse) est un ermite chrétien caverneux qui retient l’écoute, Steve Wächter livre un Eustazio soigneusement phrasé, d’un alto d’abord discret qui peu à peu se déploie, Krenare Gashi offre un timbre d’une fraîcheur attachante au rôle d’Almirena, tandis qu’Adriana Bastidas Gamboa s’attelle à celui de Rinaldo, d’abord assez timidement, puis dans une veine plus héroïque – cela dit, avec son timbre plutôt terne, une projection encore trop confidentielle qui accuse une stabilité parfois précaire, le guerrier ne convainc pas –, et que Wolf Matthias Friedrich campe de son ferme baryton-basse un Argante à la belliqueuse vocalise qui n’est pas sans panache.
Nous vous annoncions la conjugaison de deux bonheurs vocaux. Tout d’abord, le Goffredo remarquable d’un chanteur qu’en sa qualité baryton, à travers le Jakob Lenz de Wolfgang Rihm à votre curiosité nous signalions [lire notre chronique du 11 avril 2006]. Est-ce à dire que l’Opéra de Cologne aurait pris la liberté de transposer la partie du croisé ? Certes non, mais à relire les propos d’alors on s’étonnera moins de ce qu’Hagen Matzeit se produise ce soir en tant que… haute-contre (alto) – et quelle voix lui découvre-t-on ! Voilà un timbre riche, une couleur formidablement présente, un chant parfaitement mené jusqu’en ses moindres nuances, qui incarnent un personnage drôle mais peu sympathique (à juste titre) directement servi par un art de la scène plus qu’évident.
Enfin, nous retrouvons un soprano comme il en est peu : l’excellente Simone Kermes [photo] dont, outre le David de Conti donné à Ambronay [lire notre chronique du 11 octobre 2003], nous goutions au disque l’Andromeda liberata de Vivaldi [lire notre critique du CD], un récital Vivaldi avec Andrea Marcon (chez Archiv Produktion) et les plus récents albums Lava (airs d’opéras napolitains du XVIIIe siècle, chez Deutsche Harmonia Mundi) et Colori d’amore (airs italiens oubliés de la fin du XVIIe siècle, chez Sony Classical), tous deux avec Claudio Osele. Sans doute Händel lui-même ne rêva-t-il plus bel hommage à son génie que l’adresse indicible, la vocalité virevoltante, l’infinie délicatesse de la nuance et l’immense investissement musical et scénique dont use cette Armida compatriote (l’artiste est née à Leipzig, pas très loin de Halle), magicienne hors norme –magicienne, précisément – qui, à défaut de réellement provoquer les maléfices, déchaînement assurément les foules, à en juger par l’immense succès qu’elle emporte. Simone Kermes, sans se départir jamais des exigences stylistiques ni de la pertinence dramatique, développe une ornementation exquise qu’elle est aujourd’hui la seule à concevoir aussi exquisément. Une Armida qui fera date, n’en doutons pas.
Avec la complicité de Susana Mendoza (costumes), de Dieter Richter (décors) et de Nicol Hungsberg (lumières), Sabine Hartmannshenn signe une production à la fois sensible et pleine d’humour, d’une « profondeur légère », pourrait-on dire, puisant adroitement dans l’œuvre que, par des mises en abîme bienvenues, ô combien baroques (et pas uniquement dans la scénographie, mais encore dans le jeu et sa distance), discrètement soulignées par l’omniprésence du comédien Harald Beutelstahl, elle extrapole sans la trahir jamais.
BB